L’intense activité d’Aznar Zahora en studio produit ses effets, à en croire le nombre de chansons composées ces derniers temps par le jeune Réunionnais pour le compte d’artistes de premier plan des musiques urbaines, en France comme en Afrique et dans l’océan Indien. Nouvel épisode de la série consacrée par RFI Musique à ces personnages de l’ombre qui façonnent et font évoluer les tendances musicales.
Installé au premier rang, là où il a pris l’habitude de s’asseoir au lycée pour ne pas avoir à réviser le soir chez lui, Aznar Zahora ne perd rien de la scène qui se déroule devant lui: dans cette salle où le cours de musique du jeudi a été exceptionnellement déplacé, le prof saisit l’occasion pour investir le piano présent. «Il était en transe, il voyageait, et je voulais ressentir la même chose que lui», décrit le Réunionnais, en repensant à ce moment sinon fondateur du moins déterminant dans son envie de pratiquer un instrument. Par ses racines malgaches, il sait depuis longtemps le pouvoir des rythmes traditionnels, avec «ces mélodies intenses qui peuvent même réveiller les esprits».
Quand il s’est mis à composer, il s’est d’abord focalisé sur le salegy de Madagascar et le coupé décalé ivoirien, deux styles populaires dans ce département d’outre-mer où il a grandi. À l’origine– à savoir dès sept ans! –, il se voyait DJ et c’est d’abord dans cette fonction-là qu’il s’est illustré sur son île natale, après avoir mixé en public pour la première fois le jour de Pâques 2012 sur la plage de Trou d’eau.
Un marathon créatif aux allures d’initiation
Si la musique fait partie du quotidien dans lequel il baigne à la maison, avec les cassettes et CD des Malgaches Jaojoby, Din Rotsaka, Docteur JB ou encore les Congolais Papa Wemba et Koffi Olomide, pas question pour sa mère qu’il en fasse son métier. Pourtant, en débarquant en métropole en juillet 2017, son bac en poche, Aznar profite d’un dossier d’inscription perdu pour tenter d’exploiter le savoir faire qu’il a déjà acquis. Une rencontre en amène une autre, et les opportunités surviennent en un temps record: par l’intermédiaire de Seysey, producteur pour Dadju, Aya Nakamura ou Black M, il participe trois mois après son arrivée à un marathon musical organisé par le collectif informel Le Sommet, qui réunit des beatmakers réputés: enchaîner 24 sessions en 24 heures dans 24 studios, avec pour objectif de composer autant de morceaux!
Les premières collaborations marquantes suivent: un son «placé» avec DJ Moh Green, nommé aux Afrima (All Africa Music Awards) en 2018; un autre pour H Magnum featuring Dadju, récompensé par un premier disque d’or dans la carrière du jeune homme, depuis suivi par d’autres. Pour répondre aux sollicitations qui se multiplient, Aznar fait des allers retours fréquents entre les studios de la région parisienne et Rouen où il a repris des études après deux années sabbatiques afin «d’avoir une sécurité». Quitte à frôler la surchauffe, et passer une soutenance après une session musicale achevée au petit matin!
Collaborations sans frontières, musicales et géographiques
Son association avec le Réunionnais NikoOo (initiateur du récent projet Mind) et l’Angolais Agatchu accélère encore le processus, qui se mesure partiellement à l’aune de la centaine de titres sur lesquels son nom parfois orthographié Aznvr apparaît à la Sacem (Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique) en France. Au cours des dernières années, il est intervenu sur des morceaux signés par des pointures de la scène urbaine de l’Hexagone, telles que Hiro, Naza, Ronisia ou encore Joé Dwèt Filé. Le Franco-haïtien, qui en a fait son mixeur attitré, l’a aussi impliqué dans ses live: l’an dernier, ils ont préparé le concert à l’AccorArena de Paris pendant une semaine au Zénith de Reims.
Incapable de définir sa spécificité musicale, Aznar ne veut pas être «catégorisé dans un seul délire», et revendique une forme de diversité, ce qui explique ses collaborations avec la zoukeuse guyanaise Fanny-J ou encore le Capverdien Lisandro Cuxi, vainqueur en 2017 de la sixième saison de l’émission The Voice: la plus belle voix. Sur la toile qu’il a tissée, les connexions avec les artistes de l’océan Indien lui tiennent particulièrement à cœur, qu’il s’agisse de la chanteuse mahoraise Zily qui fait «Beaucoup de chansons pour les mariages, comme une griotte», ou du Franco-Comorien Goulam. Les nombreux projets menés avec ce dernier lui ont souvent permis d’agrandir son cercle professionnel en se faisant connaître des artistes invités par le chanteur le temps d’un duo: voilà la raison de son implication récente auprès du Togolais Santrinos Raphaël, et de ses projets à venir avec la Malgache Rijade.
Pour cet enfant de la Gen Z, les réseaux sociaux fréquentés assidûment sont une source d’inspiration, ou tout simplement un moyen de se tenir au courant des tendances. Mais ils peuvent également servir de tremplin inattendu: en félicitant l’Ivoirien Akatche pour une de ses vidéos postées, il n’imaginait pas que ce musicien beatmaker renommé allait lui proposer quelques temps plus tard de cosigner un titre avec lequel le rappeur d’origine guinéenne MHD vient de faire son retour sur la scène musicale en août 2024. Une référence de plus à son palmarès, sur une dynamique exponentielle.